Un Forum Kabyle

Publié le par kabyle

Mohand Tilmatine

 

 

 

La Kabylie, pays traditionnellement jaloux de son indépendance, a toujours constitué une entité spécifique par sa langue (taqbaylit), ses structures sociales et politiques (tajmat), ainsi que de par ses référents historiques et culturels (Si Mohand, Yusef Uqaci, Umerri etc…). Sur le plan historique, cette région vivait comme entité indépendante des différents pouvoirs centraux, comme en témoignait, notamment durant les périodes précoloniales, le rôle joué par la région pendant l’époque espagnole ou l’époque ottomane.

Sur le plan économique la région a toujours vécu dans une relative autarcie en raison justement du caractère accidenté de son relief qui ne permet pas, par exemple, de culture à grande échelle favorisant davantage une économie d’autosubsistance.

Ces conditions rendent l’accès difficile au pays, défendu par la chaîne montagneuse kabyle du Djurdjura et qui l’isole du reste de l’Algérie tout en protégeant le pays et ses habitants contre « toutes les incursions possibles du dehors, » [1].

En fait, les véritables tentatives d’intégration de la Kabylie dans un ensemble algérien centralisé remontent concrètement à la période coloniale et surtout à la création de l’Etat-nation algérien après l’indépendance du pays.

Ces tentatives ont non seulement été acceptées mais aussi appuyées, voire initiées par les militants kabyles du Mouvement national qui ont essayé de développer une vision moderne et démocratique de l’Etat (Congrès de la Soummam), et ce malgré les premiers durs revers essuyés lors des années 40 avec la désormais fameuse « crise berbériste » .

Cependant, cet engagement généreux des élites et des masses kabyles pour construire un système moderne de gouvernance s’est à chaque fois brisé face aux idéologies islamo-baathistes qui ont toujours vu dans la Kabylie un potentiel menaçant pour leur hégémonie politique et idéologique.

De là, toute la politique s’est faite contre les revendications et les intérêts de cette région. Depuis l’indépendance, plusieurs évènements sont venus renforcer cette politique d’exclusion et de répression, qui, à son tour, donnait autant d’arguments pour renforcer le mouvement de résistance et souligner encore davantage une spécificité, chaque fois plus patente, de la Kabylie dans l’ensemble algérien.

D’abord la rébellion du FFS de 1963 en Kabylie qui, tout en n’exprimant pas des revendications linguistiques ou spécifiques, fut taxée de « berbériste » et de séparatiste. La répression des militants berbéristes des années de plomb sous le régime de Boumedienne et du parti unique (FLN), 1980 et la massification des revendications identitaires et linguistiques, 1994 et la « grève du cartable » massivement suivie dans toute la Kabylie, l’assassinat du chantre de la berbérité et de la résistance kabyle, Matoub Lounès et les morts qui tombèrent lors des affrontements avec les forces de police algérienne, sans oublier ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « vote kabyle », distinguant de manière radicale le comportement des électeurs de cette région du reste du pays.

Dans tous ces événement, l’élément clef et moteur de cette évolution a toujours été la revendication identitaire et linguistique, jamais satisfaite depuis quelle avait été formulée dans les années 40 et plus massivement depuis le « printemps berbère » de 1980. Cette politique rend évidente une constante des différents gouvernements algériens qui se sont succédés depuis l’indépendance du pays : le rejet de l’amazighe et des valeurs véhiculées par le Mouvement Culturel Berbère en faveur du socle arabo-islamiste.

Nul doute que ces longues années de lutte et de frustration ont contribué, peu à peu mais sûrement à creuser un fossé qui sépare désormais de manière évidente la Kabylie du reste de l’Algérie.

Les évènements du dernier « Printemps noir » d’avril 2001, la répression sanglante qui s’est abattue sur les Kabyles avec plus de 100 morts et des milliers de blessés ainsi que le boycott total des dernières élections législatives du 30 mai 2002, l’emprisonnement des délégués des villages et villes kabyles, mais surtout le traitement méprisant qu’il est fait de ces évènements viennent sceller une rupture qui semble maintenant définitive avec le régime et l’Etat central.

Face à tous ces développements, une profonde conviction ne cesse de gagner du terrain depuis quelques mois : la Kabylie ne peut désormais rien attendre d’un tel régime. Désormais, elle ne s’en sortira que si elle prend elle-même en mains sa propre destinée.

L’option la plus intéressante étant celle d’une large autonomie dans le cadre d’une Algérie profondément restructurée dans le sens d’une véritable redistribution des pouvoirs politiques, économiques et culturels de type fédéral par exemple.

Cette solution pourrait constituer une véritable action de sauvetage dans l’Histoire de la Kabylie et de l’Algérie. Elle nécessite bien sûr une profonde réflexion et la collaboration du plus grand nombre possible afin d’éviter de dévoyer cette idée et de lui donner les meilleurs contours possibles.

C’est dans cet esprit qu’il est proposé l’idée d’une structure de concertation, d’un vaste Forum kabyle, dont on tentera d’apporter dans les lignes suivantes, un premier éclairage quant à quelques principes de fonctionnement et caractéristiques fondamentales du projet.. Concrètement, la réflexion portera sur trois axes principaux : L’action du Forum vers l’intérieur et l’extérieur ainsi que sur quelques concepts théoriques qui peuvent déterminer à mon sens la réussite du projet d’autonomie. Il est bien entendu que ces idées s’inscrivent dans une optique de débat et ne sauraient constituer nul dogme. Elles demeurent de ce fait ouvertes à tout type de proposition d’amélioration ou d’élargissement des champs d’action abordés.

 

Généralités

 

La multitude et la prolifération des initiatives qui se développent actuellement en vue de réfléchir et d’appuyer l’idée d’autonomie de la Kabylie rend nécessaire la constitution d’un cadre général, libre et indépendant de réflexion sur le processus de construction du projet d’autonomie en Kabylie. Le Forum, qui n’aura pas d’attributions exécutives se propose d’être une structure d’analyse et de proposition sur les voies et moyens susceptibles de contribuer à faire avancer l’exécution du projet d’autonomie, en tenant compte des processus similaires qui se déroulent dans d’autres pays.

 

A cet effet, il est nécessaire de réunir et de viser la stabilisation d’un noyau permanent de personnes intéressées par cette réflexion.

Il serait très important – à terme – de diversifier la composition du Forum en intégrant des personnes qui représentent des entités civiles, culturelles et politiques en vue de donner à ces idées une ample projection, tant au niveau horizontal que vertical.

Le Forum se réunira à des intervalles réguliers. Le rythme de ces réunions pourra être fixé et modifié par ses membres. Il est important que les réunions aient un caractère régulier avec un ordre du jour préétabli.

 

Voies et moyens

 

Pour atteindre cet objectif, ce Forum devrait orienter son action vers des objectifs multiformes et multidirectionnels. Ses moyens se focaliseront autour de la réflexion sur les questions théoriques et pratiques ainsi que sur les cadres conceptuels qui doivent accompagner le processus de construction du projet d’autonomie en Kabylie.

L’information, la canalisation et la transmission de cette information ainsi que le travail de sensibilisation sera dirigé vers :

l’intérieur, s’adressant tant à l’opinion algérienne qu’à la population kabyle, l’extérieur s’intéressant aux structures, institutions, entités ou individualités internationales y compris le mouvement associatif amazigh dans la diaspora, susceptibles d’appuyer l’action du Forum vers la réalisation du projet.

1. L’action du Forum Kabyle vers l’intérieur :

L’action principale du Forum est de faire fonction d’antenne et de moyen de canalisation des propositions qui se font et se feront autour de l’application de l’autonomie au peuple kabyle.

 

Conscientisation politique :

 

Il doit dans une première phase oeuvrer en vue de créer les conditions favorables à la sensibilisation et la mobilisation en faveur du développement d’un mouvement d’adhésion et de conscientisation politique autour du droit à l’autonomie du peuple kabyle ainsi que des avantages et de la nécessité d’une telle formule d’organisation politique pour la Kabylie, mais aussi pour toute l’Algérie.

Le but étant de réfléchir aux voies et méthodes nécessaires et adéquates afin d’arriver à faire adopter cet objectif comme un droit et une revendication propres.

De même, la réflexion devrait porter sur les moyens d’obtenir une acceptation et une reconnaissance politique explicite de cette idée. L’objectif à terme devant être l’ancrage constitutionnel du droit à l’autonomie de la Kabylie, soit dans un cadre plus général – d’un système fédéral par exemple – ou bien dans le cadre – pour le moment plus probable - d’un système asymétrique dans la mesure où, pour le moment, la Kabylie semble être la seule région susceptible de se mobiliser en vue d’exiger ce droit. Eu égard à la forte intériorisation des idées nationalistes, des « constantes nationales », il est clair que cette revendication sera confrontée à la très forte opposition d’une bonne partie de l’Algérie, mais également d’un certain nombre de Kabyles qui s’inscrivent toujours dans une perspective nationaliste et qui y verront quasi mécaniquement une « menace pour l’intégrité du pays » et feront tout pour contrer l’idée d’autonomie de la Kabylie. Il est donc nécessaire de faire un long et profond travail de conscientisation auprès des populations, institutions, groupes d’intérêts, associations kabyles etc., en vue de dénoncer les obstacles qui s’opposent à l’exercice du droit à l’autonomie de la Kabylie. A cet effet, il faut développer la réflexion sur les incidences positives d’une autonomie en Kabylie par rapport à son ancrage dans le contexte algérien, et ce, sur les plans :

 

 Économique

 Social

 Politique

 Culturel etc…

 

Pour cela, il devient urgent de développer une vision idéologique du projet d’autonomie en abordant les orientations et les lignes structurantes du projet aux niveaux des choix :

 

 Économiques

 Politiques

 Culturels et éducationnels

 Droits sociaux économiques du citoyen

 Droits de la Femme, etc.

 

Société civile

 

La société civile est la base et le vecteur fondamental du projet d’autonomie. Il faut appuyer toute forme d’auto organisation citoyenne kabyle en favorisant, en impulsant au niveau kabyle, national et international la création d’associations, institutions ou entités chargées de défendre les intérêts de la Kabylie et des populations kabyles où qu’elles soient. Il est très important qu’il y ait des regroupements de corporations qui s’identifient comme kabyles. Même si les corporations en question sont d’envergure nationale, il n’est point inimaginable de créer des filières kabyles de ces mêmes corporations : P. exp. une Union Médicale Kabyle ; Union des Journalistes Kabyles etc. qui, comme telles, peuvent – si on le considère nécessaire - adhérer à une association nationale. Ainsi, l’existence par exemple d’une Union des Taxieurs Kabyles de Paris permet d’imprimer un cachet identitaire spécifique à notre communauté dans la capitale française. En revanche, à ma connaissance, une telle entité n’existe pas en Algérie, où les énergies kabyles se fondent où se diluent dans l’ensemble vaste, diffus et diluant de la référence algérienne, nationale, « maghrébine », voire même « arabe » des différentes associations. Le Forum impulsera et encouragera dans la mesure de ses possibilités la coordination et la collaboration entre les différentes associations et entités kabyles et devrait essayer de conserver un rôle « régulateur » en cas de conflit.

 

Médias

 

Inutile d’insister sur le rôle prépondérant des médias comme « faiseurs d’opinion », comme « véhicules éducationnels » ou tout simplement d’information et de formation, d’où l’impérieuse nécessité de développer une politique de la communication destinée à l’espace kabyle : Le projet d’autonomie étant un discours qui ne coïncidera presque jamais avec le discours du pouvoir central, il est patent que la Kabylie devra œuvrer en vue de développer des ressources médiatiques propres, notamment, et à court terme, une RadioTélévision propre, surtout, indépendante de l’Etat central. Inutile également de rappeler l’interdépendance Médias, culture, économie. Il est évident que l’absence du kabyle dans la publicité, par exemple, est bien sûr due au manque d’une planification linguistique et d’une volonté politique, mais également au fait que les potentiels annonceurs ne perçoivent pas un « marché économique kabyle ». A ce niveau, il ne fait pas de doute que tout est à construire. Le fil conducteur étant qu’il faut prendre les médias comme ils sont : des instruments éducatifs et surtout créateurs de références culturelles et identitaires. Axer donc les effort pour :

 1. le développement d’un Radio-Télévision kabyle

 2. la promotion et potentialisation/coordination des initiatives de communication privées ou locales.

 3. l’encouragement et appui des initiatives individuelles ou de groupes travaillant pour favoriser les valeurs kabyles

 4. la défense d’une industrie cinématographique kabyle, encourager le doublage des films et leur sous-titrage en kabyle

 5. faire naître l’intérêt aux nouvelles technologies et à leur impact

 6. réfléchir à un organe de surveillance et de suivi des médias de communications pour la défense de la langue kabyle dans son espace naturel et à l’extérieur.

 

2. L’action du Forum Kabyle vers l’extérieur

 

 Structure de concertation, mais aussi d’information, les activités du Forum peuvent êtres très nombreuses et dépendront de sa composante et de ses moyens financiers et humains. Il devrait en tous cas suivre l’évolution des positions théoriques sur le sujet, tant au niveau national qu’international. Il pourra notamment prendre en compte les résolutions des organismes internationaux qui interviennent dans ce sujet ; participer aux rencontres et aux débats internationaux pour contribuer à la sensibilisation de l’opinion en faveur du projet autonomiste en Kabylie, voir quels seraient les moyens juridiques internationaux qui pourraient renforcer et asseoir l’idée d’une autonomie de la Kabylie, recourir dans ce cadre au droit international, s’appuyer sur des institutions internationales ou des entités européennes susceptibles d’apporter leur appui à ce projet. Les dernières évolutions en Europe en faveur de la culture amazighe, notamment en France et surtout en Catalogne sont des exemples du type de mission de conscientisation et de travail de proximité nécessaire auprès des instances internationales afin d’obtenir leur appui.

Le concept de « région » ou d’ « Europe des peuples » porté et défendu en Europe, notamment par les Catalans, les Basques, mais aussi dans le Alto Adige italien, le Canada et bien d’autres peuples pourrait servir de cadre de réflexion et de référence.

3. Cadres théoriques et conceptuels : Symbolique du Projet d’Autonomie

(« kabylisation » de l’environnement économique, culturel, social et politique)

Normalisation : Le terme sera pris au sens de rendre à la langue, à la culture kabyle la place « normale » qui devrait lui revenir en tant que véhicule d’expression de ce peuple : c’est à dire le recouvrement progressif de tous les espaces d’une langue naturelle.

Plusieurs directions de travail peuvent être dégagées. Elles seront sous-tendues par un concept transversal récurrent de la sociolinguistique catalane : la normalisation.

 

a) Normalisation linguistique

 

Ce chapitre, quoique non vulgarisé, est suffisamment connu des linguistes kabyles. Son application nécessite toutefois pour son exécution des prérogatives politiques sur la politique culturelle et linguistique dont la Kabylie ne dispose pas et que justement devrait lui apporter l’autonomie de la région. On peut néanmoins citer quelques fonctions primordiales de la langue dans toute politique sérieuse de prise en charge et de planification linguistique :

Arriver à faire reconnaître le kabyle comme langue officielle et propre de la Kabylie récupérer l’usage de la langue dans tous les domaines avec les conséquences qui en découlent

 nécessité de créer une structure représentative kabyle chargée de la régulation et de la planification linguistique en général exiger la dotation financière adéquate aux instituts d’études amazighes existants actuellement et les intégrer dans le processus de réflexion général sur les nécessités linguistiques du projet d’autonomie développer et encourager l’usage du kabyle au quotidien lutter contre les positions de découragement face à la domination de langues comme l’arabe ou le français avoir toujours en vue le consensus et une majorité ample parmi la population dans le choix des décisions récupérer sur le plan culturel les racines, les mythes, l’histoire collective à travers l’enseignement et les moyens de communication, conscientiser en vue de renforcer une conscience nationale kabyle penser à établir un cadre légal qui permette à la Kabylie de se présenter comme une entité linguistique à l’intérieur comme à l’extérieur du pays travailler en vue d’obtenir – à terme - une reconnaissance internationale comme communauté linguistique spécifique

 

b) Normalisation culturelle

 

La culture populaire n’est pas homogène. Elle se traduit par une série de manifestations individuelles ou de groupes, tant au plan individuel que collectif. Elle a des racines historiques, traditionnelles et renvoie à des strates identifiables sur le plan historique, mais aussi à des espaces physiques et des groupes démographiques déterminés. Des lignes de partage peuvent séparer, cloisonner, mais aussi servir de lieux de rencontre, d’échange, d’union ou de réunion. Fondamentalement rurale, cette culture acquiert, notamment depuis l’indépendance du pays, des traits de plus en plus urbains. Ces traits, à étudier et à analyser, constitueront les caractéristiques définitoires, mais non définitives d’une culture dans une période donnée. La politique culturelle officielle et officialisante du gouvernement central a donné de la culture kabyle une image folklorisante, réductrice et uniformisante : une robe, une musique, une danse et peut-être un bijou sont en général les référents culturels les plus récurrents. Mais cette culture est plus ample et s’étend à tous les segments de la vie quotidienne. La notion de culture n’est pas statique, mais en évolution. Il ne saura donc être question d’une définition ferme et statique des « traits culturels », mais d’une définition en permanente évolution incluant tous les apports qui viennent se greffer sur un socle déjà existant. Ceci vaut autant pour les faits culturels en eux-mêmes que pour les « notions » et « concepts » ou choix politiques et/ou idéologiques qui jalonnent l’histoire contemporaine du pays kabyle. Il est clair que la richesse de la culture populaire doit dépasser les considérations idéalistes qui y voient un tout homogène. L’unitarisme tout comme l’immobilisme ont peu d’emprise sur la réalité. Ils ne peuvent constituer les traits constitutifs d’une culture. Il faut, au contraire, s’ouvrir aux nouvelles exigences sociales et aux apports de chaque époque sous peine de voir la tradition devenir un objet muséographique.

La force symbolique d’une culture devrait pouvoir adapter les nouvelles nécessités sociales (urbanisation, individualisation, modes et phénomènes sociaux etc.), les nouvelles réalités contemporaines (pluralité politique, communication et globalisation, démocratisation et droits de l’homme et de la femme, laïcité etc.) en les intégrant, comme composantes supplémentaires de la culture kabyle. Ces ouvertures iront de pair avec la nécessité de miser sur la consolidation d’une culture kabyle, populaire et symbolique, basée sur la défense de l’identité propre, comme réponse aux menaces des cultures prédominantes localement, mais aussi plus généralement, aux processus uniformisateurs.

 

c) Culture et industries de la culture

 

Ce point implique également au préalable le début d’application d’une politique de planification linguistique, inexistante pour le moment. Le statut de la langue devenant officiel va induire des besoins qui rendront nécessaire le démarrage de véritables industries de la culture, tant au niveau de la production (cinéma, discographie, vidéo, livres scolaires, traductions, romans, etc.), comme dans le champ des communications (journaux, radio, télévision, téléphonie. Le plus difficile étant de convaincre l’économie de miser sur le kabyle comme marché culturel. Ceci passe nécessairement par un réaménagement des lois cadres et juridiques redonnant au kabyle la fonction qui devrait être « normalement » la sienne.

 

d) Normalisation conceptuelle et identitaire

 

Ce point porte sur les concepts et valeurs de la culture kabyle. Il est important de rappeler que l’identité collective kabyle est basée fondamentalement sur des traits coïncidents de type historique, géographique et culturel, mais aussi et surtout sur un dénominateur commun : coïncidence de volonté et d’intérêts. Actuellement, l’identification à la Kabylité passe par un support / axe fondamental : la langue, au travers de laquelle s’articulent des éléments culturels hérités du passé et auxquels s’ajoutent des apports historiques, culturels, idéologiques du présent. Aussi, l’affermissement d’une identité kabyle passera par l’identification d’une communauté, d’un peuple à travers de traits spécifiques, des choix idéologiques, des intérêts communs, un espace géographique et culturel cohérent véhiculés par une langue commune : le kabyle.

Le Forum devrait servir de cadre de débat autour des valeurs structurantes de cette identité. il contribuera a leur clarification et leur vulgarisation.

 

Espace culturel kabyle

 

L’apparition et le rôle des Archs dans la seule Kabylie est, par exemple, un élément structurant de cet espace. Mais là encore, nous avons un cas de terme à « normaliser » puisque étant une référence à une structure d’organisation tribale traditionnelle, il renvoie forcément à des structures et à des méthodes de fonctionnement similaires dans tout le Pays [2] , alors que ces nouvelles structures n’ont pratiquement plus rien à voir avec les organisations traditionnelles. Tout comme certains voudraient que le berbère devienne « langue nationale » au sens de « langue qui appartient à tous les Algériens », afin d’impliquer « tous les algériens » aux décisions qui la concernent - et donc par exemple des décisions par référendum -, les Archs sont présentées comme structure « algérienne » - et non kabyle – ce qui permet de « diluer » le caractère kabyle de la protestation dans un ensemble plus grand – l’Algérie.

Un autre champ d’intervention important de la normalisation conceptuelle est celui des dénominations et de la mise en perspective. Exemple : le Maghreb signifie « le couchant », « l’endroit où le soleil se couche » Mais par rapport à qui ou à quoi ? A l’Orient, bien sûr. Pourquoi ? Sans parler des connotations négatives sur le plan diachronique, liées à l’étymologie de la racine arabe /àrb/ qui donne des sens comme àarîb « curieux, bizarre, méconnu », mais aussi par exemple en dialectal làurba « exil », « aller ver l’inconnu ». Si nous y ajoutions les valeurs anciennement négatives du maàrib « Ouest, couchant » par rapport au mašriq « Est, levant », il serait aisé d’imaginer les motivations qui ont mené à la dénomination arabe du nord de l’Afrique.

De même, la normalisation conceptuelle implique non seulement la récupération des dénominations kabyles – entre temps arabisées – mais aussi des questions de « recentrage » partant d’une perspective spatiale et temporelle kabyle. Il est donc nécessaire de développer des listes de noms, de références et des dénominations géographiques kabyles.

Dans un premier temps, les efforts seront axés sur l’espace culturel kabyle, pour s’étendre ensuite aux références internationales. Encore une fois, sur le plan géographique, ces références doivent être autocentrées par rapport à la Kabylie.

D’une manière générale, le Forum pourrait aspirer en cela à remplir une fonction fondamentale : servir de cadre de réflexion pour une adéquation/adaptation des concepts et référents culturels et identitaires (figures historiques, calendrier « berbère », symbolique en général comme le drapeau, couleurs, les alphabets tifinaghs, les prénoms etc.).

La manière concrète d’orienter ces actions, vers l’opinion nationale ou internationale, vers des institutions algériennes ou européennes etc., dépendra au cas par cas. Le Forum pourra décider de la focalisation adéquate à apporter. L’objectif étant toujours  de viser sur la plan horizontal la sensibilisation la plus ample possible des secteurs les plus importants de la société civile en Kabylie, et dans la diaspora et sur le plan vertical, de toucher tous les niveaux sociaux en tentant de les regrouper tous autour d’un dénominateur commun : la nécessité de l’autonomie pour la Kabylie en transcendant tous les clivages politiques (partisans), économiques ou régionaux.

 Le Forum Kabyle prendra collectivement le compromis d’impulser ces tâches d’organisation et de sensibilisation afin d’arracher le droit collectif du peuple kabyle qui aspire à prendre en mains l’organisation et la gestion de son quotidien.

 Enfin, seul un débat et surtout l’implication des Kabyles peut assurer et garantir la réussite du projet d’autonomie et de ses vecteurs comme pourrait l’être l’idée du Forum.

 Reste à savoir comment celle-ci pourrait se réaliser, d’abord sur le plan matériel et organisationnel. Des réunions, comme celle d’Ecancourt au mois de mars 2002, peuvent en fournir un premier noyau - du moins dans la diaspora. Le débat est ouvert.

 

Notes

[1] Si Amar Boulifa : Le Djurdjura à travers l’Histoire. (Depuis l’Antiquité jusqu’en 1830). Organisation et Indépendance des Zouaouas (Grande Kabylie). période coloniale.

 

[2] Dénoncé à juste titre par Arezki Ait Larbi, mais simplement comme résultat d’une manipulation médiatique et sans faire référence aux implications identitaires en termes de normalisation conceptuelle.

Publié dans kabylie-debout

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